Thierry Manirambona: 'Ma poésie est une invitation à se libérer de la peur.'

Publié le par Le blog de Jean Marie Ntahimpera

avec-michelle1.jpgThierry Manirambona est un jésuite qui poursuit sa formation en journalisme à l’Université de Butare. Auteur de deux recueils de poèmes, Sapin d’Avril (PUBLIBOOK, 2009, Paris), et Tam-Tam (Kigali, 2011) ; Thierry Manirambona est aussi le grand lauréat du Prix Michel Kayoya 2011 pour sa nouvelle L’Albinos

 

Interview exclusif.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Comment vous est venu l’idée de devenir poète?

Thierry Manirambona : Je n’ai jamais pensé ou décidé devenir poète. La poésie m’a choisi. J’ai cultivé un terrain en lisant beaucoup de poèmes et la poésie a poussé sur le terrain. Comme tout artiste, je n’ai pas choisi ce genre littéraire.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Comme tous les Burundais de notre génération, vous avez connu la guerre, le châtiment, l exil. Quelle influence ces évènements tragiques auraient-ils eu sur votre vocation sacerdotale ou votre vie d’artiste?

Thierry Manirambona : Ils ont joué une grande influence sur ma vocation religieuse. Je suis entré dans la vie religieuse pour écouter la voix de Dieu. J’en avais besoin. D’autres qui ont connu la guerre, et ils sont des millions (d’ailleurs tout le monde a été affecté d’une façon ou d’une autre) à un certain moment, ils ont choisi d’autres camps. Ils ont pris d’autres chemins pour rebâtir leur vie. J’ai choisi la vie religieuse. Et aussi c’était pour porter, un jour, le message de Dieu aux autres, à toutes les victimes des guerres de nos régions et à tout ce monde qui a besoin du message de Vie (Lc 4, 19)

Artiste poète, je suis citoyen des Grands Lacs. Tout ce que les autres ont vécu, je l’ai vécu. Et comme c’était lourd à porter, la poésie est venue pour m’aider à retrouver la parole. La guerre a eu une influence sur ma vie de poète.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Comment cohabitent le poète et le religieux en toi? Quelles sont les similitudes entre la vocation de l’artiste et celle du religieux? La complémentarité?

Thierry Manirambona : Je te donne mot à mot la réponse que j’ai donnée à Roland Rugero à la question de savoir comment je vis des contradictions, partagé entre la volupté artistique et l'humilité monastique? Dans la vie religieuse, il y a une grande place pour la prière, le chant, les psaumes ; une place importante à la parole. Or, une parole bien maîtrisée devient un chant, ou un poème. Et quand la poésie est au service de la vie, quand elle élève l’âme à la beauté, à la contemplation, elle est une prière, nourriture de la vie religieuse. Quand on lit les œuvres de Didier RIMAUD, jésuite et grand poète français, on lit à travers les lignes de ses textes de l’émotion, exprimée avec beaucoup d’abnégation, d’humilité lexicale.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Vos écrits sont très engagés pour la cause des misérables, des chômeurs, des mendiants...

Thierry Manirambona: J’ai fait le choix de parler de la justice sociale et de tout ce monde que la société oublie.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Albert Camus disait:« Le rôle de l’écrivain (…) ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. » Vous reconnaissez-vous dans cette formule?

Thierry Manirambona : Oui. L’écrivain n’est un bouffon pour égayer les vainqueurs, il parle pour ceux qui subissent l’histoire et les saisons froides. Je me reconnais dans la phrase de Camus.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Le Burundi, et tous les pays des Grands-Lacs en général, sont dans une situation post conflictuelle, où les questions de paix, de justice, de pardon, de réconciliation et de développement doivent avoir une place importante dans le débat public. Quel rôle les écrivains devraient jouer dans la recherche des solutions aux problèmes de société qui préoccupent nos concitoyens?

Thierry Manirambona : Les écrivains sont appelés à être un ferment (j’emprunte l’expression à Sembura, plateforme des écrivains de la région des Grands Lacs). Des catalyseurs. Décrire ce qui se passe, dénoncer ce qui ne va pas et proposer des pistes des sorties. Ils doivent le faire sans avoir peur et sans avoir de parti pris. Aussi, ne doivent-ils pas se lamenter tout le temps ; plutôt, ils doivent de leur plume attaquer le vice et offrir des voies de guérison.

 

 Jean-Marie Ntahimpera : Parlant de la plateforme. Vous avez participé au colloque littéraire qui a lieu à Bujumbura du 23 – 24 juin dernier. Qu’est-ce que vous avez retenu de ce colloque? Que représente ce genre de rencontres pour vous et pour d’autres jeunes écrivains ?

Thierry Manirambona : Comme jeune, j’étais très content de rencontrer les grands comme Marie Louise Sibazuri du Burundi, Kalisa Rugano du Rwanda, et d’échanger avec les jeunes qui sont désormais assis dans la cour des grands comme Fiston Mwanza de la RDC et tant d’autres. Lors du colloque, jeune écrivain, je me sentais entouré et encouragé.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Une certaine opinion pense que les Burundais ne lisent pas. Or, les écrivains écrivent pour être lus. Au final, on aurait des écrivains sans lecteurs…

Thierry Manirambona : Les Burundais lisent. Peut-être pas suffisamment. Et ils ont quelques fois raison. Le livre coûte cher, très cher même et il y a très peu de points de vente des livres au Burundi. Dans les écoles, la lecture n’est pas très pratiquée surtout dans les écoles éloignées des villes. Et les conséquences sont visibles. Il faut aussi avouer qu’il y a encore très peu d’écrits des Burundais. L’effort doit être fourni du côté des écrivains comme du côté des lecteurs. L’un a besoin de l’autre.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Les penseurs religieux engagés ont inventee une " théologie de la libération" 'visant à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus et les libérant d’intolérables conditions de vie". Peut-on dire que vous pratiquez une "poésie de la libération"?

Thierry Manirambona : J’écris des textes engagés, des fois. Dire que c’est une poésie de la libération, ça peut prêter à confusion. La théologie de la libération a fait couler de l’encre. Je suis engagé pour éclairer, pour dénoncer, pour proposer des pistes de sorties, pour faire entendre la voix de mes frères et sœurs. Ma poésie est une invitation à sortir, à avancer, à danser à la ronde ; à se libérer de la peur. Tam-tam invite la femme à marcher avec les hommes). Je laisse le mot « libération » pour le mot « sortie ».

 

Jean-Marie Ntahimpera : Une invitation a l’espoir, au courage, mais aussi a sortir de l’indifférence. Dans « sapin d’avril », vous écrivez: 'Je te souhaite le courage de tendre l oreille pour entendre les sanglots de ceux qui n ont plus de consolateurs". Que veut un pauvre, un chômeur, un mendiant des rues de Bujumbura? La compassion? Le respect? La charité? La démocratie?

Thierry Manirambona : Il veut, le mendiant, le chômeur, l’homme ou la femme qui passe, la Vie, la vie en plénitude. La vie comprend la liberté, le bonheur, la parole, les fleurs. Tout le monde aspire à la vie et c’est ce que je souhaite à tout le monde.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Les inégalités sociales aussi sont au cœur de votre œuvre. Dans la nouvelle ‘L’albinos’ vous écrivez: "Quand non loin, le bon monde festoie, noce au son d’un piano européen, (...) il y a des gens en quête d’amour qui attendent la saison des pluies. Quand dans les villas, les grands se font la cour, parlant politique, éducation et consort... l Albinos parle d un vieux pain, d un morceau de viande et de quelques psaumes inédits". Apres la guerre des ethnies, peut-on s’attendre une tragédie sur fonds de lutte des classes?

Thierry Manirambona : Comme dans tous les pays africains, l’après-guerre voit toujours émerger une société où les riches s’enrichissent de plus et où le pauvre s’enfonce. Ce que je voulais surtout dire, c’est montrer qu’il y a toujours sur nos routes, un mendiant qui cherche à survivre, qui cherche la justice. Qui rendra cette justice ? Je ne sais pas. Quant à la guerre des classes, elle est souvent impossible puisque les riches sont puissants ; ils gagneraient. Toutefois, l’interpellation au partage que lance l’écrivain est indispensable.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Vous animez un site internet "le Burundi et ses livres". Qu’est ce qui vous a motivé à fonder cet espace dédié à la littérature burundaise ? Et quel est l’état de la littérature burundaise sur l’échelle régionale ou continentale?

Thierry Manirambona : Je voulais créer une anthologie de la littérature burundaise. Une anthologie en ligne pour informer le public du trésor littéraire des Burundais. Je ne m’exprime pas en spécialiste. Je m’exprime, humblement, en écrivain. La littérature burundaise cherche toujours à s’affirmer. Elle n’est pas jeune mais elle cherche toujours à se positionner sur l’échiquier de la littérature mondiale. Certes, il est des écrivains qui ont déjà remporté des prix prestigieux comme Melchior Mbonimpa, Roland Rugero … mais il fait avouer qu’il est encore tôt, c’est mon opinion, pour dire que la littérature burundaise est connue. Sur l’échelle régionale, je crois que les textes des Burundais sont appréciés. Ils sont travaillés et retravaillés et ils parlent fort.

 

Jean-Marie Ntahimpera : Quel conseil pourriez- vous donner aux jeunes qui voudraient devenir écrivains?

Thierry Manirambona : Ecrivez. Le reste viendra après. Ecrivez d’abord.

 

Jean-MarieNtahimpera: Merci de me consacrer un peu de votre temps.

Thierry Manirambona: Dieu vous bénisse.

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J
<br /> <br /> Merci beaucoup, Gateka. Merci de nous flatter.<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> Un encouragement s'impose pour ce que vous faites pour votre chère patrie (qui est aussi la mienne) Thierry et Jean-Marie allez de l'avant!<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Vous pouvez devenir écrivain. Mais il faut être auteur<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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